
“TOGETHER WE REACH THE GOAL" *
Il m’en aura fallu du temps pour rédiger ce récit narrant notre périple du GR 20. Le temps certainement de digérer complètement, tant physiquement que moralement, cette montagne si sauvage.
Ce sentier partageant du Nord au Sud la Corse a toujours fasciné les inconditionnels de la randonnée et depuis quelques années de nombreux trailers venus se mesurer ou se préparer sur cet énorme rocher. Le chrono hallucinant du jeune Espagnol Kilian Jornet (environ 32 heures) n’est certainement pas étranger à l’impulsion et l’engouement récent qu’on les coureurs pour cette facette de l’Ile.
Je ne saurais dire qui de nous trois, Bernard, Kader ou moi, a eu l’idée de proposer de se lancer sur ce parcours long de 172 kilomètres et 11300 mètres de dénivelés positifs et surtout de tenter de le boucler en 3 jours. Il faut dire que l’année 2013 se prête parfaitement à ce défi avec nos trois anniversaires respectifs qui signent une quarantaine assumée. Bref ! Le projet se pose petit à petit sur papier et prend forme au fur et à mesure de l’approche du mois de juin. Je vous ferai grâce des détails de la préparation si ce n’est que nous avons la chance d’être accompagnés et assistés par Claire et Audrey dans notre aventure, qui outre le soutien psychologique, nous apportent également une aide précieuse, voir indispensable, dans la logistique de cette épopée.
Jeudi 20 juin 14h00 : Nous voilà donc tous les cinq sur le ferry bercés par les flots de la mer méditerranée en direction de la Pointe Rousse. A l’approche de notre lieu de débarquement un ciel très menaçant et peu encourageant enveloppe de sa noirceur les cimes qu’il engloutit peu à peu. Nos yeux rivés sur ces reliefs qui s’effacent de l’horizon nous laissent perplexes et songeurs sur l’éventuelle tenue à adopter. Il faut dire que la météo capricieuse de ce printemps 2013 a mis en échec plusieurs tentatives sur le GR 20 à causes de fortes coulées de neige persistantes et notre inquiétude était encore palpable une semaine avant le départ. A l’avant du bateau le silence règne alors et nous espérons sincèrement profiter d’une petite fenêtre climatique.
En direction de Calenzana, la ville de départ dans le sens Nord-Sud du GR, je profite du repas pour proposer de nous équiper dans la foulée et de nous élancer aussitôt dans la nuit. N’y voyez rien de masochiste dans ce discours, c’est juste que nous nous sommes reposés sur le bateau d’une part, et d’autre part je souhaite profiter de la clémence de la nuit qui laisse apparaître un lit d’étoiles. De plus, il faut ajouter que la journée qui s’annonce est estimée pour environ 15 heures d’effort sur une cinquantaine de kilomètres dans une zone qualifiée de très difficile, donc les quelques heures de marge ne sont pas superflues. Mes amis approuvent l’idée, même si Kader paraît plus fatigué que Bernard et moi, et nous nous préparons soigneusement sous le regard de nos deux charmantes assistantes.
Jeudi 20 juin, aux alentours de 23hoo : Calenzana – Vergio (58 km et 5000 de D+) Nous déambulons dans les rues de Calenzana, la bonne humeur est omniprésente, et nous immortalisons l’instant d’un cliché, sous le panneau de départ du GR 20 avant de partir. La nuit est belle et douce, la menace semble écartée et c’est le cœur léger que nous nous amusons à trottiner sur ce petit monotrace qui serpente en direction de notre premier col de la journée. Nos frontales fixées sur le crâne permettent de nous frayer un chemin à travers les herbes hautes et les cailloux. Il nous faut d’ailleurs parfois nous arrêter pour nous assurer d’être sur le bon parcours en suivant le balisage rouge et blanc caractéristique du GR. Pour notre salut, une pleine lune nous surplombe apportant également une luminosité non négligeable et appréciable. Petit à petit la pente s’accentue dans une forêt encore dense d’où se dégage des senteurs florales qui caressent nos naseaux. Les lumières de la ville s’éloignent au fur et à mesure de notre progression formant un tapis de lucioles. Nous prenons alors conscience de notre arrachement à la civilisation pour nous enfoncer dans l’obscurité qui nous attire.
Nous profitons de chaque instant, même s’il ne nous est pas encore possible de distinguer dans la nuit le décor qui nous entoure. Nous admirons une salamandre noire tachetée de jaune surprise certainement de voir du monde à pareille heure et nous contemplons les constellations au-dessus de nos têtes tout en poursuivant notre ascension. Nous alternons la rando rapide et la course à pied à chaque portion roulante. Soudain Bernard, qui ferme la marche, aperçoit un réchaud sur le bord du sentier et nous interpelle pour nous le faire remarquer. Kader et moi qui avions vu une tente à proximité et avions fait le rapprochement, et à ce moment nous entendons une voix dire à Bernard : «oui, il est à nous !» ce qui eu le don de nous faire rire un temps. Pas pour très longtemps car peu après cette anecdote, un mur se dresse devant nous. Il nous faut chercher à plusieurs reprises le balisage d’autant que la prudence est de mise sur la roche rendue glissante par une rosée nocturne.
Après quelques vires vires nous arrivons enfin au sommet de la crête du Fucu sur le massif de Bonifatu où est ancré le refuge d’ Ortu di u Piobbu. On s’efforce de ne pas faire de bruit tout en le contournant puis un panneau nous indique une variante sur notre droite alors que le GR part sur la gauche. Cette variante référencée est sensée nous amener sur Carozzu par Bonifatu et nous faire gagner 2 heures en contournant les grosses difficultés. Le balisage étant trop approximatif nous préférons assurer notre itinéraire en prenant l’initial.
Nous prenons soin de nous ravitailler régulièrement et quelques sources nous apportent le breuvage nécessaire à notre avancée. Il fait encore sombre et le sentier en écharpe qui traverse un bassin boisé est agréable et nous permet de temps à autre de trottiner. Puis nous retrouvons un secteur très rocailleux que nous sautons un à un tels des cabris encore assez frais. Le paysage est en train de changer et devient plus technique avec des passages à plus de 2000 mètres d’altitude. Nous devons mettre les mains de temps à autre que ce soit en montée comme en descente en longeant une série d’aiguilles à l’approche de Capu Ladroncellu. La clarté du jour commence à se faire ressentir et le massif qui nous entoure se dessine : nous sommes à présent dans la haute montagne insulaire avec un panorama à couper le souffle. Le soleil s’impose rapidement et généreusement, obligeant à récupérer dans nos sacs casquette et lunettes. Nous croisons notre premier randonneur dans la longue descente sur le refuge de Carozzu où les campeurs se lèvent tout juste. Sous des regards surpris nous refaisons le plein et repartons aussitôt pour l’ascension du cirque de Bonifatu après avoir traversé le pont suspendu de Spasimata.
Cette montée sur de longues dalles rocheuses offre un paysage extraordinaire. Certains passages sont sécurisés par des chaînes ou des câbles, surtout pour éviter de glisser. Des randonneurs nous font remarquer un petit groupe de mouflons accrochés à la paroi dont on jalouse l’agilité. Nous sommes encore bien physiquement tous les trois, même si la chaleur se fait sentir et que Bernard demande par prudence de lever le pied tout en sortant ses bâtons. Le pic de la Bocca a i Stagni à 2148 mètres est à portée, la pente se redresse terriblement et les quadris sont sollicités. Récompense ultime au sommet avec un point de vue magique sur Calvi, tout l’Ouest de la Corse et bien sur le lac de Muvrella. A nouveau une très longue descente nous achemine jusqu’au prochain refuge d’Ascu Stagnu que l’on distingue en contrebas. Nous sommes dans nos temps de référence et comme prévu nous faisons une pause casse croûte bien méritée. Kader en profite pour se faire un soin des pieds et s’offre une petite sieste de 5 minutes dont il a le secret.
Nous sympathisons avec un couple de randonneurs qui partent également sur Vergio, mais en empruntant une variante moins vallonnée et sensée nous faire gagner du temps. Mais même si l’idée d’aller plus vite nous titille, le simple fait de ne pas suivre l’itinéraire du GR20 ne nous correspond pas, et nous préférons décliner l’offre. Nous voilà donc partis de nouveau, sous un soleil de plomb, en direction du mythique Cirque de la Solitude. Après avoir traversé une prairie sous quelques pins, le sol devient dans un premier temps caillouteux, puis rocailleux, avant d’atteindre les premiers névés. Nous sommes bel et bien en haute montagne, le décor est extrêmement sauvage à l’approche de la Bocca Ginesca. Nos chaussures foulent pour la première fois la neige rafraîchissante et nous transforme, un court instant, en 3 jeunes minots lancés dans une bataille de boules de neige. Un moment de détente bien appréciable avant la bascule sur le gouffre qui se présente à nous.
Le simple nom de Cirque de la Solitude génère des interrogations, voir des craintes pour les nombreux randonneurs arrivés jusque là. Nous apprenons que le passage n’a été ouvert que 3 jours plus tôt pour des raisons de sécurité : quels veinards nous sommes ! Postés au départ du sentier abrupt, l’air frais surgissant du trou caresse nos joues rosacées, les yeux rivés sur l’abîme minéral vertigineux qui semble nous aspirer.
Tandis que certains sont assis comme pour céder leur tour en observant les plus téméraires, nous nous jetons dans cette gueule béante aux mâchoires aiguisées. Pour dompter la bête, Bernard nous montre la technique à adopter pour se sentir à l’aise entre la paroi et les mains courantes métalliques. Une technique qui a le don de nous mettre en confiance sur cette via-ferrata impressionnante. Rien de transcendant, mais j’avoue qu’il ne vaut pas mieux se louper et assurer ses appuis et ses prises de mains. Notre sac à dos léger est un atout majeur, et nous ne pouvons nous empêcher d’avoir de l’admiration pour ceux que l’on croise avec un énorme fardeau sur les épaules. A la mi-parcours, une langue blanche de neige immaculée laisse apparaître des traces de pas qui cheminent jusqu’au bas du cirque. Sans se dire un mot, nous nous dirigeons vers ce névé que nous dévalons façon Alberto Tomba. Tout schuss, sous les regards surpris et médusés des personnes encore accrochées à la montagne, nous arrivons en contrebas dans un chrono qui marquerait les anales. Les pieds trempés certes, mais fiers de notre glisse, nous repartons aussitôt à l’assaut de la remontée obligée et tout aussi technique comme pour s’extirper de ce site mémorable.
Sans répits, nous trottinons dans une descente cassante vers le refuge de Tighjettu où nous faisons le plein de saucisson, chocolat et soda américain, la boisson salvatrice de notre ami Bernard. Mais l’heure tourne et il ne faut pas trop nous attarder car un dernier col nous attend. Nous traversons un superbe petit torrent où il fait bon tremper la tête et la casquette, avant d’aborder un sous-bois protecteur de ce soleil qui continue de cogner. Nous quittons peu à peu la végétation pour attaquer la Bocca Foggiale, la dernière difficulté de la journée (du moins, si l‘on considère que seules les montées sont des difficultés, ce qui n’est pas le cas bien sûr!). Nous gravissons cette crête en serpentant les mains sur les genoux, tout en faisant le décompte de l’altitude qui nous sépare du point culminant, pour motiver notre ami Bernard qui pêche dans les réserves. Nous arrivons enfin sur l’arrête d’où s’accroche le refuge de Ciottulu à 2000 mètres d’altitude surplombé par le sommet de Paglia Orba. Son gardien paraissant rustre aux premiers abords s’avère finalement très sympathique, et il nous indique le meilleur parcours à suivre dans cette longue vallée pour rejoindre les filles venues nous attendre aux Bergeries de Radules. Bernard montre un regain d’énergie et les pieds de Kader semblent résister au choc. Mes jambes répondent encore bien et l’envie de courir nous pousse sur ce monotrace dont les parties herbeuses nous font le plus grand bien. A l’approche d’un torrent, nous apercevons Claire et Audrey les pieds dans l’eau qui nous font signe de la main. Une joie mutuelle émane de ces retrouvailles après 17 heures d’efforts. Sur le chemin (encore long) qui nous sépare de l’hôtel, nous leurs faisons part de nos impressions à chaud tout en pensant à la journée de demain.
Après une bonne douche et un soin de nos muscles meurtris, je propose au moment du repas de modifier nos plans et de nous arrêter à Vizzavona plutôt que Capanelle afin de raccourcir la deuxième journée pour récupérer au mieux. Cette proposition semble convenir et j’établis à la hâte un nouveau road-book.
Samedi 22 juin, vers 05h00 : Vergio – Vizzavona (52 km et 3000 de D+). Au réveil, il nous faut quelques minutes pour dérouiller la mécanique, mais nous sommes agréablement surpris par notre pouvoir de récupération. Kader se badigeonne les pieds de crème pour limiter les ampoules, tandis que Ber s’enfile deux genouillères en prévision des descentes qui traumatisent les articulations. Les filles nous accompagnent dans la fraîcheur matinale jusqu’au petit déjeuner pris à l’extérieur, avec d’autres lève-tôt.
Nous les quittons en nous enfonçant dans un sous bois où la frontale n’est pas nécessaire tant la clarté du jour est palpable. Un tapis d’épines de pins recouvre ce sentier en balcon très agréable à courir. Nous doublons notre première randonneuse du jour, une dame au sac imposant et la saluons. Elle nous interpelle et nous demande si un de nous trois se prénomme Sébastien. Interloqué, je lui réponds par l’affirmative, lorsque je réalise qu’il s’agit de Bernadette, une amie de ma mère, partie seule faire sont GR20 en une douzaine de jours. Je la présente à mes deux camarades tout en échangeant sur nos aventures parallèles avant de nous séparer : que le monde est petit ! Nous reprenons notre rythme de course dans la bonne humeur, j’apprécie ce départ y compris la pente douce de la montée du col St Pierre sur des dalles ancrées au sol. Le passage au col nous permet d’apercevoir le sommet de San Bastianu au-dessus d’Ajaccio. Une fois la crête de Serra di San Tomasghiu passée, nous plongeons sur le magnifique lac Nino et sa pelouse verdoyante qui le borde. Le contraste entre les deux massifs est hallucinant. Ce site grandiose est la source du Tavignano, le plus long fleuve de Corse.
A la hauteur de notre amitié









TRAIL : EXTREME SPORT
BY SEBASTIEN FARANO