
“TOGETHER WE REACH THE GOAL" *
Au son des cloches
Le marteau frappe sur le métal rouge chauffé par le fourneau du forgeron, sous le regard intéressé de mon fils, qui se tient dans mes bras. La pièce de métal prend sa forme arrondie pour se refermer sur elle-même et former la future cloche de vache savoyarde. Nous sommes le jeudi matin, en famille, dans la fabrique des célèbres cloches de marque « Devouassoud » à Chamonix, mon frère Jérôme fait l’acquisition de l’une d’elle ainsi que mon fils Ennio de taille plus réduite, dans le but d’encourager les trailers du week-end, qui partiront pour le mythique UTMB 2009… (169 kms et 9400 m de D+)
Me revoilà à nouveau, après un an, au pied du majestueux « Mont Blanc » en compagnie de mes parents, mon frère, ma compagne et mon fils, ainsi qu’un groupe d’amis composé de Claire, Véronique, Doumé et Jean-Pierre venus faire la CCC, course ralliant Courmayeur à Chamonix.
Une année de préparation et de courses en tout genre me fait espérer un état de forme prometteur. En effet, malgré ma contre-performance aux championnats du Monde à Serre Chevalier, le stage effectué peu après avec l’équipe « LAFUMA » autour du Mont blanc m’a requinqué.
Mais cette course est tellement aléatoire qu’il va falloir être très prudent et gérer au mieux les pièges en tout genre. Mon frère aura eu la sage décision de ne pas s’engager sur cet Ultra suite aux deux blessures aux tibias survenues peu de temps auparavant, le contraignant à l’abandon.
Je me dirige donc seul vers la ligne de départ, après avoir dit au revoir à ma famille avec émotion et je m’engage auprès de Jérôme, à courir pour deux et de l’emmener en quelque sorte avec moi dans ce périple.
Sur la place du triangle de l’amitié je retrouve déjà plusieurs trailers assis sur l’asphalte encore chaud du soleil de l’après-midi. Parmi eux j’aperçois avec plaisir mon ami du team, Hervé, qui me dit être en forme et nous échangeons quelques banalités avant l’heure fatidique. A une demie-heure du départ, l’ensemble des coureurs se retrouve postés derrière la banderole admirant un groupe de brésiliens dans un rythme endiablé. Nouveauté cette année, des personnes de l’organisation contrôlent avant le coup d’envoi, le poids de nos sacs bagués à l’aide d’une pesée électronique, et ce, afin d’éviter toute polémique de triche.
Le staff organisateur nous rappelle les consignes de sécurité en évoquant le sort malheureux des trois concurrents du trail du Mercantour au mois de juin dernier et nous annonce une météo capricieuse et froide lors de la première nuit.
La musique du film de « Christophe COLOMB » nous transporte et nous libère dans les ruelles tournoyantes de Chamonix, sous les applaudissements incessants de la foule massée contre les barrières. Je décide comme prévu de ne pas m’emballer (mon ami Cyril me l’avait également recommandé !) et je me cale dans un rythme qui me convient à quelques longueurs de Marco OLMO : le symbole de la sagesse. A hauteur du lac des Gaillants, le son de cloches familières m’arrive jusqu’aux oreilles, ce sont celles de ma famille venue m’encourager sur cette portion rapide. Je les remercie d’un large sourire et m’éloigne peu à peu m’enfonçant dans la forêt de sapins.
L’arrivée aux Houches est conforme à mes espérances, dans les temps, et relativement bien en vue de la première ascension, le col de Voza. Je conserve la cadence (comme me l’avait indiqué Julien !) jusqu’au sommet avant de basculer en direction de St Gervais dans une descente infernale. C’est en toute confiance que je m’y élance sans me préoccuper de ma cheville droite fragilisée lors du stage au mois de juillet et que j’ai strappée en prévision. La nuit approchant, le passage d’un sous bois sombre m’oblige à allumer ma frontale qui a du mal à faire son office dans cette luminosité entre chien et loup. A ce moment ma cheville vrille dans un trou suivi d’un petit craquement au niveau de l’articulation et accompagné d’une forte douleur. Un coureur prend de mes nouvelles, très fair-play, mais je ne peux que marcher pour garder en mouvement le pied. Heureusement pour moi j’arrive à une partie bitumée me permettant de reprendre ma foulée tout en gardant à l’esprit ce mauvais passage.
St Gervais, l’ambiance est incroyable : il semble que la ville entière se soit donnée rendez-vous pour féliciter les coureurs. Tels des héros nous traversons cette marée humaine en saluant et tapant dans les petites mains des enfants tendues vers nous, et nous nous engouffrons doucement dans une nuit sombre et sans lune.
Je rejoins Marco sur une partie que j’estime relativement roulante et sans difficulté en direction des Contamines où je profiterais du ravitaillement. Le rythme me convient toujours et je poursuis mon effort seul en vue de la Balme. Je distingue sur le bord de la route Pascal qui abandonne suite à une mauvaise douleur au genou, il me salue et m’encourage. La nuit devenant de plus en plus fraîche je décide d’enfiler ma veste pour passer les trois prochains cols.
La Croix du Bonhomme sera le premier et pas des moindres, car outre le froid et le vent, un épais brouillard apparaît sur la deuxième partie nous pénalisant terriblement, car nos frontales n’éclairent que les gouttelettes d’eau en suspension sans possibilité d’entrevoir les rubalises juchées sur le parcours. Je rattrape un groupe de quatre coureurs afin d’augmenter nos chances d’orientation, mais on ne peut éviter quelques petites erreurs de trajectoire (heureusement sans grandes conséquences) jusqu’au hameau des Chapieux.
Je fais à nouveau le plein et repars aussitôt mais raisonnablement vers le col de Seigne. Sur la longue et interminable route qui m’y amène, quelques douleurs gastriques et des nausées se font ressentir me laissant présager un coup de froid sur le ventre lors de mon passage dans la brume.
Le col de Seigne sera un copier-coller avec la Croix du Bonhomme, avec les mêmes conditions climatiques et une petite erreur à nouveau de parcours dans la descente. Pour l’anecdote, les contrôleurs au sommet étaient habillés comme pour une expédition en très haute altitude, on distinguait à peine leur regard. Le refuge Elisabetha sera pour moi une délivrance dans le sens où je me serai extirpé sans encombres des mâchoires fumantes de cette montagne imprévisible.
L’arête Mont Favre reste le dernier col à gravir avant Courmayeur, mais je m’y sens à l’aise et c’est avec plaisir que j’arrive au sommet dans un timing un peu plus élevé que ce que j’aurai espéré, mais compte tenu de la météo je m’estime satisfait. La nouvelle descente sur la ville italienne de nuit est incroyable, technique et rapide. Une nouvelle foulure surgit de nouveau dans un virage : la douleur est telle que la tête m’en tourne me contraignant à une pause de quelques minutes. J’adopte la même technique que pour St Gervais, à savoir de dérouler rapidement afin de ne pas laisser refroidir la cheville.
La pause à Courmayeur sera, du fait, plus longue que prévu, car il faut d’une part que je me réchauffe avec des affaires sèches, et d’autre part que je me restaure correctement pour éviter une hypoglycémie future, avec des pommes de terres cuites préalablement et de la viande séchée.
38 minutes. Il m’aura fallu 38 longues minutes pour faire tout ça mais aucun regret car je repars ragaillardi dans la longue montée de Bertone, tout en cadence, selon le métronome imposé par mes bâtons. Un ravitaillement express de soupe et soda semble me convenir et avoir stoppé l’hémorragie gastrique qui se peaufinait à l’horizon. Le petit balcon jusqu’à Bonnati, et la descente sur Arnuva est un pur bonheur. Mes jambes acquiescent une bonne foulée et la cheville semble être une lointaine histoire.
Le ravitaillement à Arnuva est capital, car il doit me permettre de rallier la Fouly en passant le point le plus haut de la course, à savoir le grand col Ferret. L’ascension est délicate et quelque peu glissante. Je retrouve sur la partie finale Jérôme du Team qui me dit ne pas être au mieux, je l’encourage et repars aussitôt sur la piste en direction de la Peule.
Je rattrape un coureur Suisse, à priori très populaire dans son pays, car il est salué à chaque virage, et c’est ensemble que nous arrivons à la Fouly. A ma grande surprise je retrouve sur place Fred, Lydia et Bruno qui me félicitent et m’encouragent pour mon plus grand plaisir. Je leur fais part rapidement d’une douleur qui me tiraille au niveau du pied et m’élance sur la piste longeant le torrent. Praz de Fort se dresse à l’horizon, un ravitaillement sauvage organisé par trois enfants, me proposent un verre d’eau sous un regard admiratif, laissant penser un instant que nous sommes pour eux des surhommes.
Au détour d’un sentier, j’aperçois la voiture du staff Lafuma et Bruno me fait remarquer que Karine n’est pas au mieux depuis quelques kilomètres, et me demande de tenter de la motiver, ce que je fais sans aucun problème. A sa hauteur, nous échangeons quelques mots. Je lui propose de se restaurer, mais il lui semble difficile d’ingurgiter quoi que ce soit. Je l’encourage à me suivre sur un rythme souple, mais visiblement Karine est à la peine. Plus haut je signale mes impressions à Bruno et espère sincèrement que Karine trouvera la force de se relancer.
Je rentre dans le chapiteau de Champex afin de me ravitailler lorsque je suis interpellé par l’appel de mon prénom ; C’est Guillaume qui est assis en compagnie de son épouse. Je me ravitaille à leurs côtés et je demande à Guillaume s’il veut repartir avec moi, mais ce dernier craint de me ralentir dans Bovine, m’obligeant à repartir seul vers de nouvelles difficultés.
Le long chemin forestier en direction de Bovine me permet de dérouler un maximum avant le début de la rampe. Lors du stage, j’avais effectué cette montée en compagnie de Julien ce qui m’avait permis en quelque sorte d’exorciser ce point noir de l’UTMB. Je gravis alors confiant les blocs rocheux un à un sur ce sentier serpentant à flanc de montagne jusqu’au balcon qui amène doucement au point d’eau salvateur.
La descente qui suit jusqu’à Trient est un vrai régal : tout en monotrace sans trop de pièges. Les habitants sont accueillants et sont aux petits soins pour les coureurs ; l’occasion pour moi de remercier ces anonymes sans qui la course n’aurait lieu. « Une soupe et ça repart », tel pourrait être le slogan de cette course, car outre les barres énergétiques que j’ai apportées, ce breuvage me convient parfaitement sur ce genre de distance.
J’attaque la montée éprouvante des Steppes avec en ligne de mire deux coureurs qui semblent à ma portée, sans prétention aucune. Je les rattraperai sur le plateau avant la longue descente sur Vallorcine usante pour les organismes. Mais le moral est bon car je sais que ma famille avait convenu de venir m’encourager à Vallorcine et cela me remplit de bonheur. En premier lieu j’aperçois mon père qui immortalise d’un cliché mon passage, puis c’est au tour de mon fils Ennio qui veut faire quelques longueurs avec moi et encore Emmanuelle qui m’embrasse, puis mon frère qui m’accompagne jusqu’au point de contrôle. Mes amis de la CCC m’honorent également de leur présence, que je distingue tout en me ravitaillant brièvement. Je ressors avec un large sourire pour les saluer tous, puis je m’éloigne en petite foulée jusqu’au col des Montets, point de départ de le dernière difficulté, le col de la Tête des Vents.
Je prends un tempo régulier dans ce dédale de marches de pierre, accompagné de quelques jeunes bouquetins insolents de facilité dans les pentes abruptes du massif des Aiguilles Rouges. Une fois sur la partie plus plane, j’accélère l’allure car j’ai à cœur d’arriver de jour jusqu’à la Flégère pour ne pas risquer de me tordre à nouveau une cheville dans ce sentier piègeux.
C’est chose faite : je bois à nouveau une soupe, eh oui !, et à moi la dernière descente sur Chamonix qui s’illumine peu à peu comme un phare me guidant vers l’arrivée. Une jeune femme m’accompagne quelques mètres à vélo avant de prendre la bifurcation le long du torrent, puis c’est au tour de mon fils qui me tend la main afin de passer la ligne d’arrivée avec moi. Même si je suis peu expressif je suis rempli d’émotion à ce moment, je salue la foule et je la remercie, je savoure chaque seconde. Toute ma famille est présente, mes amis également, je les embrasse un à un : je suis heureux !
Cette épreuve est pour moi l’occasion de remercier mes partenaires tout d’abord la société LAFUMA et son staff pour leur aide, le magasin Running Conseil d’Avignon pour son soutien, Anthony Berthou pour sa confiance, Fabien Andrieux pour son amitié, Frédéric Arod pour sa gentillesse et bien sûr dans le désordre Philippe, Domi, Bérengère, Kader, Claire, Jean-Pierre, Jeff, Jean-Claude, Mireille, Antonio, Arlette, Jean-François, Yves, Patrick, Emma et bien d’autres que j’oublie certainement, désolé, et évidemment mon fils adoré Ennio…
MERCI A TOUS !!!
Pour mon frère Jérôme.
Sébastien



TRAIL : EXTREME SPORT
BY SEBASTIEN FARANO