
“TOGETHER WE REACH THE GOAL" *
Liens Sacrés
Il m’en aura fallu du temps pour rédiger ce récit ! Je ne saurai vous dire pourquoi, peut-être est-ce par fainéantise ou plutôt pour être sûr de ne rien oublier de cette pléiade de péripéties que nous avons rencontrées mon frère et moi en juillet 2010.
3 octobre au matin, je suis face à cette page blanche et je ne sais pas par où commencer, tel un écrivain en mal d’inspiration, pourtant il y a tellement de choses à dire, de souvenirs qui me reviennent. Trois mois ont passés, le temps défile inexorablement, mais je me surprends a griffonner sur un brouillon la chronologie exacte de ces quelques jours inoubliables. Pour être honnête, la vue de certaines photos me font l’effet d’un « flash back », mes neurones se mettent en action accompagnés parfois d’un rictus reflex, et me voilà à nouveau plongé dans cette aventure fraternelle que je vais vous conter maintenant.
Préambule : Dans la planification de notre saison, nous avons prévu une semaine « choc » ou de « charge », ce qui signifie faire une rando à étapes, mais en mode course à pied, afin de préparer au mieux notre rendez-vous de la fin août, à savoir l’UTMB pour mon frère et la TDS pour ma part. Notre choix s’est porté naturellement sur le massif du Mont Blanc, que l’on apprécie particulièrement tout les deux, et en ce qui concerne la date, ce sera début juillet, juste avant le Festival d’Avignon, reste donc le parcours à définir.
Jérôme me propose une reconnaissance de la TDS, sous sa nouvelle formule, c’est à dire rallier Courmayeur à Chamonix en passant par le col du Petit St Bernard. Cette option me convient, mais j’avoue sincèrement que toute autre option aurait pu me satisfaire autant, car d’une part j’ai envie de me retrouver seul avec mon frangin en montagne, et d’autre part j’en éprouve un réel besoin après les quelques ennuis de santé de notre papa au début de l’été, qui m’ont affecté.
Préparatifs : Nous posons sur papier notre itinéraire, recherchons les différents refuges susceptibles de nous accueillir et cerise sur le gâteau, mon frère trouve une course de montagne à Megève pour clôturer cette semaine de fou.
Côté équipement, nous sommes obligés d’emporter le strict minimum sur ces trois jours, dans le but de pouvoir courir aisément. Les distances journalières sont définies en fonction de nos points de chute respectifs, pour dormir et se restaurer, car nous n’avons aucune assistance et les quelques hameaux que nous allons traverser se composent essentiellement de fermes.
Tout semble fin prêt et organisé, un dernier petit coup d’œil, la veille du départ, sur la météo qui semble optimiste, avec quelques petites ondées éventuelles annoncées sur une journée.
Départ :
Mercredi 7 juillet à l’aube, dans la voiture l’ambiance est détendue, nous refaisons un check-up rapide de ces cinq prochains jours sur l’alimentation, le budget, et le parcours qui est bien en tête maintenant. D’ailleurs, Jérôme a pris soin de le mettre sur papier à l’aide du road book fournit par l’organisation de la TDS via Internet, histoire de suivre au mieux l’itinéraire de la course sans se perdre.
Le panneau indiquant la ville de Chamonix est en vue, nous cherchons avant tout une place sûre et non payante pour stationner la voiture et nous nous dirigeons aussitôt vers la gare pour sauter dans le car de 10h30 et traverser le tunnel du Mont Blanc pour Courmayeur.
A la sortie du bus, une Italie fidèle à elle même nous accueille, le ciel est bleu azur, la température douce à souhait, les gens chaleureux : je sais ! Je fais preuve de chauvinisme mais que voulez-vous, nous sommes des « ritals ». Nous traversons cette merveilleuse petite ville, encore un superlatif, bon d’accord, j’arrête ! Mais c’est pourtant vrai, et là, nous passons devant la vitrine d’un marchand de pizzas, vendues à la découpe. Dans un premier temps une odeur envoûtante inonde nos naseaux, me rappelant les vacances familiales de mon enfance. Puis, l’image prend le relais, et nous observons tour à tour les différentes garnitures qui ont gratinées sur chacune des pâtes, les couleurs alternent une à une nous faisant tout simplement saliver.
L’envie est trop forte, après à peine 300 mètres, nous nous octroyons notre premier break, pas très sérieux tout ça ! Nous entrouvrons le rideaux à boudins qui nous séparait, il y a encore peu du rêve de la réalité, et nous voilà plongés dans l’univers absolu d’un digne pizzaïolo italien. Nous en ressortons, une pizza bianca à la main, ruisselante d’huile d’olive, en guise d’apéro : un pur délice.
Ce petit aparté gastronomique nous met en jambes et nous nous mettons à trottiner, enfin ! En direction de la sortie de la ville. Des ouvriers, en pleine construction d’un muret artisanal, nous saluent et d’un large sourire nous encouragent : quand je vous dit que les italiens sont forts sympathiques !
5 kilomètres nous séparent du premier village traversé. Ce seront 5 kms sur route, qui serpentent vers Pré St Didier, certainement une volonté des organisateurs afin d’étirer un troupeau de trailers décidés à en découdre en pleine nuit, au mois d’août. Pour nous, le but du jeu est de lire la carte avec son tracé bleu, qui symbolise notre itinéraire, tout en courant, une prouesse qu’il faut vite écarter, car à l’arrivée de chaque intersection ou croisement de chemin nous sommes obligés de nous arrêter pour faire le bon choix.
Après avoir fait le plein d’eau glacée à la fontaine communale, la première difficulté se présente à nous. Sur papier, 730 mètres à gravir en un peu plus de 2 km, ça promet d’être chaud. Le début de l’ascension est agréable, toute en sous-bois sur un monotrace, et nous amenant par à-coups au surplomb de la vallée transalpine. Le spectacle est grandiose, l’aplomb vertigineux, mais on ne s’attarde pas trop, car nous avons un timing à respecter si nous voulons dormir au chaud ce soir.
Le sentier s’élargit pour laisser place à une piste forestière large, nous nous retrouvons alors côte à côte pour échanger quelques banalités, je savoure chaque pas et chaque seconde en présence de mon frère. La pente est douce, à la jonction d’une nouvelle intersection, une effectuons une énième lecture de carte et l’on y aperçois un petit raccourci qui semble pouvoir nous faire gagner de précieuses minutes avant de manger.
Nous nous engouffrons peu à peu dans une forêt plus épaisse, et à tâtons nous recherchons se fameux passage qui semble s’être effacé au fil des années. Un couple et deux enfants égarés en ces lieux, cherchent également ce sentier disparu et décide de faire marche arrière. Par orgueil ou pour prouver que les trailers ne sont pas des tafioles, on poursuit, comme deux abrutis bornés sur notre idée de base.
Face à nos baskets, qui en tremblent encore, se dresse un mur, un pic, que dis-je ! Une péninsule : tient sa me rappelle quelqu’un ! Et là ! L’âme scout endormie de mon frère se réveil de son hibernation et il décide de continuer. Surpris de sa décision, je m’élance en tête sur un sol glissant et ruisselant de boue, certainement à cause des pluies de la semaine passée.
On s’accroche aux arbres, aux branches, les mains immaculées de terre, je m’arrête et j’observe mon frère progresser péniblement en contre bas, le souffle et coupé et les jambes meurtries, heureusement que c’est lui qui a voulu poursuivre car sinon j’en aurait pris pour mon grade.
Je regarde mon GPS, il reste 200 mètres de D+, mince ce n’est pas grand chose, mais dans ces conditions c’est une pure galère ! Mon frère arrive à ma hauteur, on lève la tête et juste au dessus de nous, on aperçoit un bloc rocheux infranchissable, je m’écrie « c’est pas vrai, on ne vas pas faire demi-tour après tant d’effort ». Après une vaine tentative d’escalade, le contournement de cette difficulté semble être plus sage ; Tels des bouquetins marchant en dévers, on longe alors lentement et prudemment le flanc de cette colline.
Il ne reste que 100 petits mètres de D+ à franchir, je donne un dernier petit coup de rein et j’arrive sur le fameux sentier tant convoité qui était sensé nous faire gagné du temps. J’appelle mon frère pour le rassurer, mais il a du mal à me croire, il pense encore que j’essaie de le motiver ce bougre, car il ne voit pas le chemin d’où il est. Il faut qu’il arrive à son tour pour être soulagé, avec toute fois la tête des mauvais jours.
Le fait de courir à nouveau sur ce plateau nous fait rapidement oublier ce mauvais scénario et on déroule tranquillement vers notre prochaine destination.
Douze kilomètres effectués, ce n’est pas beaucoup ! Et pourtant on ressent les cuisses comme si on avait parcouru le triple. Heureusement le profil est descendant, on croise à plusieurs reprises la route menant au village de la Thuile que l’on distingue au loin.
A nouveau une lecture de carte approximative, mais il faut reconnaître qu’elle n’est pas des plus précise, et nous voilà encore égaré sur un sentier : damned ! Vous comprendrez aisément que plutôt que de chercher un quelconque raccourci, on préfère l’option de rebrousser chemin cette fois-ci, pour retrouver le bitume : le comble pour un trailer, mais bon !
Enfin La Thuile, et après les deux que l’on s’est pris, de tuiles, on est content de voir celle-ci : niveau vanne c’est un peu léger je vous le concède ! Ce village respire le bon vivre, la placette est accueillante, un petit ruisseau la traverse et de plus, c’est le point de départ pour les cyclistes qui désirent gravir le col du Petit St Bernard.
Vous avez peut-être remarqué que depuis notre départ les noms évoqués n’ont aucune consonance italienne et pourtant nous y sommes encore pour environ 10 kilomètres, distance à parcourir pour atteindre la frontière. Mais avant d’attaquer ce col, une pause s’impose, car il est déjà 13 heures et nous crions famine ; nous cassons alors une petite graine avec, en guise de décor, une vue plongeante sur cette vallée sillonnant et verdoyante.
La peau du ventre bien tendu et les sacs allégés pour le coup annoncent le début de cette ascension de 700 mètres de D+. Pour digérer une sieste aurait été de mise, mais j’ai donné rendez-vous entre 17 et 18 heures, en haut, à l’aubergiste, chez qui nous dormons ce soir, donc il ne faut pas nous attarder.
Nous gravissons la pente d’un pas léger, on remarque que le parcours initial est à quelques encablures, mais peu importe, nous gardons notre ligne de mire. Je ne vous cacherai que nous nous sommes à nouveau perdu un court instant, mais que voulez-vous, nous avons une réputation à tenir ! Heureusement nous touchons au but, un lac d’altitude en est le témoin et j’immortalise d’un cliché ce moment. Un chapelet de bloc rocheux matérialise la frontière franco/italienne, ces vestiges de guerre sont impressionnants et les lieux chargés d’histoire, nous sommes au col du Petit St Bernard.
Nous arrivons dans les temps, j’enfile une veste car il fait frais à 2200 mètres d’altitude et j’appelle aussitôt l’aubergiste qui m’indique qu’ils vient nous chercher en voiture, pour nous éviter les 7 kilomètres de route qui nous sépare de l’hôtel : sympa !
Dans cette attente, nous visitons l’ancien hospice qui accueillait autrefois les voyageurs de passage. On y découvre l’historique complet ainsi que des dossiers illustrés sur la faune et la flore basées autour de ce bâtiment.
Comme prévu, la voiture nous récupère et nous amène à La Rosière, une petite station de ski familiale accrochée à la montagne où nous attend une bonne douche bien méritée. Nous sommes certes excentré de l’itinéraire du mois d’août, mais nous n’avions pas le choix, car aucun hébergement n’était plus proche que celui-ci.
L’hôtel est sobre et les propriétaires avenant, nous prenons possession de notre chambre et je m’atèle immédiatement à une petite lessive de nos affaires dans le lavabo, afin de ne pas trop puiser sur nos rechanges. Le temps que tout cela sèche sur les volets, c’est propre et relaxé que nous entamons un petit tour du village. Quand je dis petit, ce n’est pas péjoratif, mais je pense que cela nous a pris à peine 20 minutes, histoire, juste, de nous ouvrir l’appétit et d’aller dormir pour un sommeil récupérateur.
Deuxième jour : La nuit a été calme, et tandis que mon frère s’étend dans son lit, je m’extirpe du mien et j’ouvre les volets. Le ciel est chargé et sombre, un brouillard à couper au couteau m’empêche de distinguer les télésièges de la station situés à quelques mètres à peine de notre chambre. J’ai peine à dire cela à Jérôme, lui qui rumine déjà à l’idée d’être posté de l’autre côté de la vallée, ce qui signifie sur la carte une bonne heure et demie de course avec 800 mètres de D- et 400 de D+ pour retrouver le sentier d’origine. Un petit déjeuner vite envoyé et nous voilà devant l’entrée de l’hôtel avec au dessus de nous des nuages qui se déchirent un à un, libérant de fortes ondées.
Je demande à l’aubergiste deux grands sacs poubelles pour nous envelopper d’une couche hermétique supplémentaire, avant d’affronter le déluge. Notre look est peu esthétique, mais il a le mérite de nous tenir au sec y compris nos sacs à dos peu étanches.
J’avoues ne pas être ravi non plus de ce scénario, d’autant que cette journée du jeudi va être la plus longue et la plus dure, avec la mythique crête du passeur de Pralognan. Nous profitons d’un petit répit climatique et nous nous élançons sur une large piste de descente de ski pour rejoindre le fond de vallée.
Jérôme a les jambes dures dès le départ, il a mal aux épaules et après à peine un kilomètre nos casquettes, tout comme nos chaussures, sont imbibées de flotte. Il râle, gamberge, se démotive et rentre peu à peu dans cette mauvaise humeur qui le caractérise parfois. Ma technique est simple et elle a fait ses preuves : je commence par tenter de le secouer, puis je l’envoie paître et enfin je l’ignore. De cette manière, il suit le mouvement et reste au contact, ah ! Je ne vous cache pas que tout le monde y passe, du Pape aux fabricants de chaussures, mais bon il suit !
Je regarde la carte très régulièrement, car il ne faudrait pas en plus que je me trompe d’itinéraire, ce serait l’apothéose.
Les pluies alternent, nous remontons sur des petits hameaux et nous longeons une immense cascade où chaque rocher est recouvert d’une épaisse mousse verte, rendant le site magnifique. Il nous faut près de deux heures pour rejoindre la piste initiale en direction du pont de Bonneval.
La pluie semble vouloir nous épargner un court instant, il fait même doux et nous nous retrouvons rapidement en simple tee-shirt manches courtes. Le sentier en single track est tout bonnement génial, tout en sous bois et plongeant vers la gorge. La prudence est de mise car la terre un peu humide est glissante ainsi que les racines piégeuses, mais on se régal à dérouler tout les deux jusqu’au pont.
La remontée jusqu’aux Echines se fait par la route, je ne pense pas qu’il y est une autre façon d’y parvenir. Une fontaine près d’une ferme nous permet de refaire le plein de nos bouteilles avant la terrible ascension du Fort de la Platte.
L’humeur du frère semble apaisée, mais ce n’est que passager, car nous nous perdons, ou plutôt nous ne trouvons pas le chemin qui contourne ce fort. Il pointe juste au dessus de nous, et pourtant l’accès et quasi introuvable, ce qui nous oblige à faire quelques aller/retour sur une large piste pour atteindre ce monument. Cet édifice est vraiment très particulier, je suppose qu’il devait être pratiquement invisible vue du ciel, car il se confond complètement avec le décor.
Un sentier paraît se diriger, sur le haut de celui-ci, vers le col de la Forclaz. J’enjambe une clôture et entame la traversée d’une épaisse prairie. J’entends alors mon frère hurler : « tu aurait pu me dire que le fil était électrifié », car il vient de prendre une secousse en voulant l’abaisser de la main. Je suis plié de rire, mais lui pas trop ! Et je continue mon avancée le sourire en coin. L’herbe de plus en plus haute se referme sur nous et il nous faut nous rendre à l’évidence : nous ne pouvons pas passer par là. C’est alors au tour des organisateurs d’en prendre pour leur grade et de subir la colère de Jérôme. Demi tour toute et nous nous retrouvons à nouveau devant cette clôture qui m’a fait tant rire il y a quelques minutes. Je l’enjambe fièrement dans le sens inverse, s’est à dire en pente descendante, et cette précision a toute sont importance car je suis pour le coup plus limité de cette manière. Et là ! Le fil vient se loger au niveau de mon entrejambe ; mon short gorgé d’eau intensifie l’effet conducteur du courant électrique, et, telle une marionnette, je suis pris de soubresauts. Les battons dans chaque main, les membres inférieurs qui répondent par a coups et vlan !me voilà par terre avec la clôture arrachée. Mon frangin est hilare, je me dis à chacun son tour, mais moi je me suis fait mal au dos, c’est Pô juste. Bref ! On remet le dispositif en place, on n’est pas des sauvages quand même ! Et on s’atèle aussitôt à trouver un nouvel itinéraire pour contourner ce dôme.
La piste est large et on se dit que l’on fait un large détour mais qu ‘à cette vitesse ce ne sera pas très gênant, sauf qu’un nouvel obstacle se présente, et devinez quoi : une clôture électrique. Mince ! On ne va pas refaire un remake de Flash Gordon ; Alors mon frère prend soin de décrocher délicatement le fil d’acier de son attache, mais malgré sa prudence, il se mange à nouveau une décharge dans les doigts. Un rictus au coin des lèvres, la respiration retenue et nous nous mettons à deux pour le remettre en position, une fois passés de l’autre côté. Cette mise en place effectuée sans problème, nous reprenons notre course sur ce chemin herbeux avant d’être à nouveau stoppé et cette fois-ci par un troupeau de vaches : décidément !
Certaines d’entre elles qui sont allongées, se redressent énergiquement et galopent dans tous les sens, surprises certainement par l’intrusion inattendue de deux lascars. L’une d’elles reste cependant immobile, comme figée, et nous observe d’un œil noir et sombre. Mon regard est alors attiré par deux énormes testicules pendantes à son arrière train, qui nous font observer qu’elle n’a rien d’une vache, mais bien d’un taureau viril. Ses cornes sont aiguisées façon taille crayon et l’idée de m’en prendre un coup me fait froid dans le dos, que faire ?
Ni une ni deux, nous repassons ce satané fil électrique, à croire qu’on aime ça ! Et on longe le sentier, coincés entre la clôture et une ravine glissante, pas d’autre choix. On se dit, à ce moment là, que l’on a trouvé la meilleure des solutions pour devancer les vaches et le taureau et ainsi poursuivre notre progression en toute sécurité. Mais, un trou béant entrecoupe la ravine ainsi que notre micro passage salvateur, il va falloir donc improviser.
Pour une énième fois, on repasse ce foutu fil et on se positionne au milieu du troupeau avec le mâle au regard insistant derrière nous à une quinzaine de mètres. On a beau être auvergnats, on est tout de même pas fiers et pour se rassurer peut-être, on se met à crier façon berger corse des phrases ponctuées de Hep ! Hep ! Hep ! Aux bovins. Quelle idée ! Il ne leur prend pas l’envie de nous suivre, pensant certainement que nous allions leur donner quelque chose à manger. Bon fini les plaisanteries, on accélère le pas pour les distancer et on se met à courir, à travers champs, dans les herbes hautes et imbibées d’eau. J’ai l’impression d’avoir Bob l’éponge à la place de mes chaussure et Jérôme dans le même état que moi, reprend sa tête des mauvais jours.
On gravit cette colline sans savoir réellement où on va, car il n’y a plus de chemin, où plutôt si, mais en contre bas et il nous faut remonter, donc la carte nous est plus d’un grand secours. Le frérot râle tout ce qu’il peut, mais je reste confiant sur l’approche imminente d’un chemin lorsque j’aperçois une habitation. Je me hâte en éclaireur vers cette maisonnette d’altitude, laissant à quelques longueurs Jérôme se battre avec les pâquerettes. Cette demeure paraît inhabitée, j’appelle je frappe au carreau et j’arrive sur la petite terrasse où je suis stoppé net dans mon élan. Devant moi, droit comme un i, un Doberman non attaché, sortit tout droit du feuilleton Magnum, avec les oreilles droites, les dents qui sortent des babines, et toute la panoplie qui va avec. Oh ! Pauvre ! Même si tous les manuels canins indiquent que dans pareille situation il ne faut surtout pas courir, je peux vous informer que j’ai pris mes jambes à mon coup plus vite certainement que Bolt sur cent mètres. Sans chercher à savoir où il se situe par rapport à moi, je saute le muré et j’arrive à la hauteur de mon frère qui me regarde d’un air hagard et me dit : « Quoi, y’a un chien ? ». Je lui réponds par la négative et je lui signale que ce n’est pas un chien, mais une mâchoire sur pattes qui se trouve derrière moi. Je redresse alors la tête et je le vois, là, nous fixant, insolant et heureusement arrêté par son périmètre ou bien par son maître qui apparaît à son tour. Il nous pose la question gentiment de ce que nous faisons là : c’est vrai quoi, qu’est ce qu’on fout là ? Et on lui dit comme deux collégiens en fugue, que l’on veut rejoindre le col de la Forclaz.
Fort sympathique, il nous montre l’itinéraire à suivre et après quelques minutes nous foulons enfin du pied, cette piste tant espérée. La pause déjeunée se fait au sommet du col où j’attends mon frère qui est à la peine. Toutes ces péripéties l’ont usé physiquement et le climat en alternance n’est pas pour nous aider dans notre tâche. Le timing est serré, nous avons perdus beaucoup de temps dans les vires vires, c’est pourquoi je presse, sans le bousculer toutefois, Jérôme à manger, car je sais que ça va être short de rallier notre point de chute, le refuge de la croix du Bonhomme.
Nous reprenons expressément notre course, transformée en rando rapide vers la difficulté majeure qu’est le Passeur de Pralognan. Le ciel se couvre de manière vraiment menaçante, un troupeau de chèvres nous croise dans le sens inverse comme pour s’éloigner d’un danger imminent. Soudain ! Un éclair déchire le ciel, la déflagration est tonitruante, si j’étais marseillais je dirai qu’il est tombé à deux pas. Mon regard croise celui de Jérôme, on constate alors que l’on possède tous les deux des bâtons aux pointes métalliques dans les mains et si on ne veut pas servir de paratonnerre, nous devons expressément les replier.
Affublés de la veste de notre sponsor principal « Handibag », nous poursuivons notre ascension sous une pluie battante qui redouble d’intensité. Le froid est saisissant, nous obligeant à enfiler bonnet et gants car nous sommes à 2400 mètres d’altitude et il nous faut encore monter. Les nuages épais s’accroche à la montagne et se transforment sur certains passages en un véritable brouillard gênant. Je sors la carte régulièrement, car se perdre à ce moment serait catastrophique, et mon frère tente de me protéger de son poncho provisoire à chaque lecture de celle-ci. Le scénario est apocalyptique, cette carte qui est notre seul moyen de s’y retrouver dans cette montagne de roches, part peu à peu en lambeaux ; mes yeux se brouillent avec le ruissellement incessant sur mon visage, les doigts sont tremblotants, mais heureusement ma concentration reste inchangée. Au détour d’un sentier, on aperçoit des panneaux indiquant la direction des « 5 lacs », on s’y engage, mon frère est comateux, il a le regard vide. Je ne sais pour qu’elle raison, quelque chose me pousse à jeter un œil à nouveau sur ce qui reste de la carte, peut-être est ce ma bonne étoile, et je remarque que nous faisons fausse route. D’après le profil, nous devons redescendre avant de remonter sur la partie sommitale.
Jérôme me suit, mais l’idée d’être obligé de plonger en fond de combe pour gravir ce pic à 2567 mètres d’altitude lui mine de plus belle le moral. Je l’encourage et le supporte, il ne faut pas que je laisse entrevoir une quelconque inquiétude de ma part car il est limite de craquer : je suis inquiet.
Soulagement, le cairn symbolisant l’arrivée du sommet est en vue, mais on ne profite pas d’une pause, car d’une part on n’y voit absolument rien, et d’autre part notre état ne nous permet pas. La descente est vertigineuse, voir dangereuse, il nous faut mettre les mains pour assurer nos appuis. J’imagine alors ce passage en course à la fin du mois d’août et j’espère sincèrement que les conditions en seront toutes autres. Au fur et à mesure que nous redescendons, la température se réchauffe et la pluie cesse enfin. Une fois le plancher des vaches retrouvé, j’exulte intérieurement mais nous ne parlons pas, comme pour exorciser ce mauvais moment. Une ou deux barres céréales avalées et nous arrivons au Cormet de Roseland, un lieu qui nous ramène à la civilisation, car nous croisons des randonneurs, nous foulons du bitume et apercevons des voitures. Ce passage est de courte durée, il déjà 15h30 et 7 kilomètres sont encore à effectuer pour rallier notre refuge.
Pur contraste avec ce que l’on vient de vivre, une large piste agréable semble pouvoir nous acheminer jusqu’au col de La Sausse sans embûches. Mais la carte nous fait encore défaut, on ne distingue pas le sentier que veut nous faire prendre l’organisation, on décide alors de continuer sur cette piste qui nous convient finalement.
La pluie refait son apparition, finalement on n’aura pas été épargné aujourd’hui, et on distingue au loin deux paysans qui s’attèlent à la traite de leurs vaches. L’un d’eux est surpris par notre présence, il nous demande même si on est payé pour faire ce genre de périple. On lui indique que nous voulons atteindre la Croix du Bonhomme et ce dernier s’exclame, dans un accent reconnaissable, qu’en prenant le raccourci des vaches, on en a tout juste pour trois quarts d’heure.
C’était sans compter sur notre sens de l’orientation irréprochable qui nous fait nous égarer encore une fois, mais il me faut ajouter tout de même, qu’avec le brouillard et la pluie même les bovins se seraient perdus. Bref ! On monte, on escalade, on redescend, on glisse, ça râle, pour enfin toucher au but : un sentier sur crête. On vient de prendre 400 de D+ en pleine face, les jambes sont coupées mais nous y sommes arrivés. Je suis sûr que notre but est proche, mais le brouillard ne me permet pas de visualiser le bâtiment. Lorsqu’un court instant, ce nuage est soufflé par le vent et me laisse entrevoir une énorme masse sombre : il s’agit du refuge. J’écrie à Jérôme que celui-ci est à peine à une centaine de mettre de nous, mais au moment où il lève la tête pour vérifier, le nuage s’épaissit à nouveau et il ne peut le voir. En perdition, mon frère ne me croit pas, et il faudra atteindre l’entrée du bâtiment pour qu’il réalise que le calvaire est enfin terminé.
Alors que nous sommes transis de froid et gorgés d’eau, nous en trouvons la porte et apercevons plusieurs groupes de randonneurs, attablés autour du poêle à bois, à jouer aux cartes. L’idée de savoir que pendant que nous nous battions contre dame nature il y a vingt minutes et que ceux- là se battaient à coup de tarot me fait sourire. Jérôme s’assied sur un banc, derrière lui la fenêtre embuée laisse apparaître un drapeau violemment secoué dans tous les sens, synonyme que les éléments se déchaînent de plus belle. On décide de prendre une bonne douche chaude, mais c’est sans compter que le cumulus est chauffé par un système de panneaux solaires : c’est donc râpé pour ce soir. La toilette se fait donc brièvement avec des lingettes nettoyantes et nous nous hâtons de faire sécher notre linge dans une chambre de huit personnes qui embaume le fennec, puis nous redescendons dans la pièce principale.
Je m’efforce de trouver quelque chose de chaud à boire, mais je ne trouve que des dosettes de café dans la cuisine commune : ça fera l’affaire ! J’interpelle le gardien du refuge et lui demande de bien vouloir nous apporter une carafe d’eau bouillante pour les faire infuser. Moi qui n’ai pas l’habitude de boire de ce breuvage, je délecte chaque tasse qui me réchauffe au fur et à mesure des gorgées avalées. Nous patientons en lisant des magasines de montagne jusqu’à l’heure du repas et en écoutant un espagnol joué de la guitare sèche façon El Chato.
La nuit n’est pas des plus récupératrice, car d’une part, je pense avoir avalé l’équivalent d’une dizaine de tasses de café qui me gardent les yeux grands ouverts, et d’autre part, nos compagnons de chambre sont en pleine répétition d’un concert de ronflettes.
Troisième jour : Au petit matin, les affaires sont encore un peu humides, c’est gênant surtout au niveau des chaussures, mais on fait avec. Nous rassemblons tous nos effets personnels avant de prendre un petit déjeuner simple et sobre, alors que dehors, il semble que la pluie a enfin cessée, mais un épais brouillard continue de nous cacher le panorama. Nous décidons de modifier notre itinéraire en rabotant la partie du Mont Joly ; visiblement la journée d’hier a laissé des traces et mon frère est encore un peu fatigué.
A la sortie du refuge, le ciel n’est pas encourageant, il bruine et il fait froid, cela nous conforte dans notre choix de raccourcir le parcours puis nous nous engageons sur un sentier que nous connaissons bien : la descente du col du Bonhomme ; Pour info, ce passage se fait de nuit et en sens inverse lors de l’UTMB. Jérôme et moi alternons entre course et marche sur ce chemin jonché de pierres lorsque nous apercevons un majestueux bouquetin, à quelques mètres, tout aussi surpris que nous. Les regards se croisent trois longues minutes avant qu’il ne disparaisse dans cette brume envahissante, je me dis alors que rien que pour ces moments là, je suis heureux d’en avoir bavé auparavant.
Nous croisons de nombreux randonneurs dans cette descente avant d’arriver à Notre Dame de la Gorge et le ciel se dégage progressivement nous obligeant à retirer successivement nos vêtements. Les jambes répondent bien, certainement motivées de savoir que nous rentrons directement à Chamonix via St Gervais, et en passant par Les Contamines où nous profitons d’un arrêt pour faire le plein de nourriture dans une supérette.
Nous déroulons tranquillement en fond de vallée et j’échange avec mon frère quelques banalités, histoire de faire passer le temps pendant que nous courrons. La décision est prise de manger à St Gervais, au pied de l’ultime difficulté, un sandwich préparé par nos soins.
Cette ascension, qui débute sur route avant d’atteindre les piste de ski, est un véritable chemin de croix, car les jambes brûlent et Jérôme, qui s’était fait discret depuis le matin, se remet à râler contre cette montagne qui ne l’entend pas : mais moi oui !
Le sommet est enfin à portée, nous sommes soulagés, comme si nous avions trouvé le Graal que nous cherchions depuis trois jours. Nous profitons un instant du paysage qui se dévoile à nous avant de dévaler la longue piste qui nous ramène aux Houches. Je suis surpris de voir à quelle vitesse nous nous amusons à descendre cette pente raide, à croire que les ressources ne sont pas totalement épuisées.
Nous atteignons notre but, mal rasés, fatigués, les jambes meurtries mais fiers et heureux d’avoir accompli cette boucle ensemble. Après avoir récupéré la voiture, nous recherchons un hôtel pour la nuit, puis un resto comme pour s’auto récompenser de cette épreuve.
Quatrième jour : Pas grand chose à raconter, si ce n’est que le matin je profite que Jérôme dort encore pour faire un footing en direction du nid d’aigle d’environ deux heures, et l’après-midi nous flânons tous les deux dans les ruelles de Chamonix.
Cinquième jour : C’est le jour du retour, mais comme je vous l’avez indiqué au début du récit, nous avons pris la décision de participer à une course de côte sur Megève et rien ne nous fera changer d’avis : je sais, on est un peu « fada » !
Donc nous voilà à 9h00, un dossard accroché au maillot, sur cette place à attendre le départ de cette compétition d’une quinzaine de bornes, et dont la particularité est de n’avoir aucune portion de descente. Le coup d’envoi est donné et je ne vous cache pas que les jambes sont dures et que le rythme imposé par les spécialistes des courses de montagne du coin est difficile à tenir. Mais bon ! On s’accroche et je dirai même plus, on se surprend à franchir la ligne d’arrivée sans avoir cédé trop de temps aux premiers : comme quoi !
Les organisateurs nous offre le repas et nous profitons jusqu’au dernier moment du panorama magnifique avant de prendre une télécabine pour regagner le centre ville. La journée se termine avec la remise des récompenses, symbolisant la fin de cette épreuve sportive mais aussi de notre virée alpine et nous reprenons la voiture pour un retour chargé de souvenirs.
J’ai souhaité mettre par écrit cette aventure fraternelle pour plusieurs raisons : la première, est de relater aux êtres qui me sont chers, les événements que l’on a rencontrés lors de ce séjour, la deuxième, de ne pas effacer de ma mémoire les détails qui le compose, et enfin pour ne surtout pas oublier que j’ai un frère formidable.
Je t’aime frangin…


Eh oui nous venons de là...

Une frontière chargée d'histoire...

Trop fort ce fort....

Vachement beau...le paysage

Mais là ça se gâte au-dessus de nous...


Gorilles dans la brume...


The King of the mountain...après nous...
TRAIL : EXTREME SPORT
BY SEBASTIEN FARANO