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UTMB 2013

ET POURTANT…Y’A COMME UN HIC…

 

30 août 2013, me voilà sur la Place du Triangle de l’Amitié de Chamonix, assis sur le bitume réchauffé par un soleil généreux. Je contemple fixement l’Arche de départ, habillée d’une toile décrivant le parcours que nous avons à effectuer. 

 

Emma et Ennio sont à mes côtés pour mon plus grand plaisir, car cette course aussi personnelle soit elle dans le défi, elle fédère en parallèle une synergie et des forces, puisées au sein de la famille et des amis, nécessaires à la réussite de ce trail hors du commun.

Je me remémore les heures passées à courir avec mon frère, mes participations aux Cross le début de saison, au sol tantôt gelé (Digne) ou boueux (Mougins), les trails régionaux, le terrible GR20 en compagnie de mes fidèles amis Kader et Bernard, les multiples ascensions du Ventoux ou encore le Vercors verdoyant. Tous ces efforts me confortent dans ma préparation et m’apportent une certaine sérénité : le mental est au rendez-vous. D’autant plus qu’une météo radieuse est annoncée pour le week-end, maintenant ainsi le parcours initial de l’UTMB. Rien ne semble donc pouvoir altérer ma détermination et ma motivation.

Tandis que les coureurs se massent peu à peu sur l’aire du départ, Toni mon cousin et Péa, sa femme, sont venus m’encourager d’Italie, accompagnés de Téresio et d’Anna des amis simples et attachants. Puis c’est au tour de mes parents, dont leurs regards en disent long sur la fierté qu’ils me portent (en toute modestie bien sûr, mais que voulez-vous ! les yeux d’une mère sont inaltérables) : je suis aux anges !

Les cloches de 16 heures sonnent derrière moi et l’effervescence monte d’un cran à une demie heure du départ.

 

La concentration est palpable dans le regard des coureurs et chacun tente de s’imprégner des dernières minutes qui s’écoulent aux rythmes de musiques endiablées.

J’aperçois derrière les têtes d’affiche, Jean-Claude, un partenaire de l’équipe LAFUMA qui a pour objectif de terminer en 25h30 son UTMB.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce chrono me conviendrait parfaitement, mais je préfère rester pour l’instant  sur mon scénario initial, à savoir maintenir mes temps de passages établis par rapport à ceux de 2009 jusqu’à Courmayeur avant de progresser plus rapidement jusqu’à Champex voire Chamonix. Jean-Claude se veut rassurant sur son départ de course et me convie à faire un bout de chemin en sa compagnie. Cette invitation d’évoluer à deux est une chance et j’accepte tandis que le décompte à rebours est lancé : 10, 9, 8…..

 

Sous les applaudissements d’un public massé dans les rues de Chamonix nous nous mettons peu à peu dans un mode course régulier en direction des Houches. Près du lac des Gaillands, ma famille m’encourage et je les en remercie d’un large sourire, l’esprit serein sous un ciel clément. 

Les coureurs sont encore extrêmement regroupés sur ce sentier relativement roulant, et cela fausse notre rythme. Jean-Claude m’informe à ce sujet, que ses pulsations sont un peu trop hautes et nous décidons de ralentir légèrement notre cadence. A l’approche du premier ravitaillement, je jette un coup d’œil à mon chrono qui affiche 38 minutes. 8 km avalés un peu trop rapidement à mon goût, surtout sous une chaleur inhabituelle qui oblige à puiser d’avantage dans les réserves.  

Kilian Jornet, à domicile, nous fait le plaisir de nous encourager au pied du col de Voza, que nous abordons version Nordic walking (avec les bâtons) pour récupérer quelque peu. Nous échangeons sur notre préparation, le matériel et notre course commune, histoire de passer le temps. Le sommet est en vue, et c’est au tour de Coco (Corinne Favre) de nous saluer avant de nous lancer dans la descente sur St Gervais. 

JC est bien et il prend la tête d’un petit groupe pour faire la descente à sa main, tandis que je préfère rester en retrait afin d’économiser mes quadriceps dans cette pente aux forts pourcentages. Les premières habitations font leur apparition, signe que nous approchons de la ville, et JC s’arrête sur le bas côté afin de soulager un petit besoin naturel. Certain de son prompt retour, je poursuis ma course sans forcer et arrive au ravitaillement de St Gervais. Une nuée de spectateurs admiratifs accueille les coureurs, accompagnés d’enfants tendant leurs petites mains au dessus des barrières pour nous encourager. Je fais une pause express et repars aussitôt sans JC qui ne m’a toujours pas rejoint. Pas d’inquiétude outre mesure, toujours persuadé qu’il va me taper sur l’épaule à un moment ou un autre sur le parcours qui nous achemine aux Contamines. 

Tout va bien, avec les deux heures gagnées sur ce départ avancé, c’est la première fois que j’effectue cette portion en pleine journée. Je suis sur mes temps de 2009, ce qui me conforte sur le tempo adopté, le mental est là et les jambes répondent bien à l’appel. Je me situe, semble-t-il, aux alentours  de la 100ème place, signe que le niveau de l’ultra trail est plus dense aujourd’hui. Je ne suis donc pas seul, mais je me retourne plusieurs fois dans l’espoir de distinguer en vain mon ami Jean-Claude. 

3h23, je suis aux Contamines Montjoie, à 2 minutes de mes prévisions : un vrai métronome ! Heureux à nouveau d’être acclamé par la foule, je profite de cet instant car je sais que la nuit va vite tomber maintenant et qu’une fois en montagne il me faudra attendre Courmayeur en Italie pour avoir pareille ambiance. Je me dirige comme prévu au ravitaillement pour remplir ma poche à eau et une jeune bénévole me propose de la boisson énergétique. Par politesse certainement, je ne lui refuse pas et la laisse verser ce nectar blanchâtre peu attirant dans mon Hydra pack. Cet instant est peut-être le tournant de ma course, car je suis en train de déroger à mes principes en prenant autre chose à boire que mon fond de Coca avec de l’eau qui me réussit si bien. Bref ! Je repars à nouveau seul, sans JC, qui ne reviendra finalement pas, car j’apprendrais plus tard qu’il abandonnera au lac Combal suite à des ennuis gastriques. Pour l’heure, je m’enfonce dans cette nuit qui se fait de plus en plus présente avec une fraîcheur qui oblige à enfiler mon incontournable veste speed trail LAFUMA. 

Je cours encore facilement sur la piste plane qui déroule sous mes pieds et j’attends le dernier moment pour allumer ma frontale profitant au maximum du clair obscure. J’atteins la Balme sans trop de difficulté où j’y avale une bonne soupe aux vermicelles avant d’attaquer la croix du Bonhomme.  

A fur et à mesure de ma grimpée, une farandole de lucioles se dessine derrière moi, telle une guirlande illuminée qui serpente sur le flanc de la montagne. Je monte à un bon rythme, mais je ressens une gêne au niveau de mon adducteur droit qui nécessite quelques massages de décontraction de temps à autre. Soudain, un hoquet se déclenche ponctuant chacun de mes pas. Je pense alors que la soupe a du mal à passer et je m’efforce de faire cesser ces soubresauts par tous les remèdes de grand-mère qui me viennent en tête.

La machine semble se dérégler, mais je n’en fais pas état et me reconcentre, car arrive la descente sur les Chapieux toujours aussi spectaculaire avec ses trous et ornières, autant de pièges à éviter et où la prudence est de mise. 

Nouveau ravitaillement où j’ai la surprise de voir plusieurs couloirs dans lesquels nous sommes dirigés afin de satisfaire à un contrôle inopiné de notre matériel. Après avoir été validé par un bénévole, je rentre sous la tente et attrape une soupe chaude avant de repartir. 

Une longue partie bitumée amène à la récupération active tout en contemplant un ciel rempli de constellations, que j’essaie d’identifier en faisant appel à mes souvenirs d’enfance. Une étoile filante complète le tableau au-dessus d’une masse sombre parsemée de paillettes éclairées : il s’agit du col de Seigne. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ascension est longue et  ma cuisse me tiraille à nouveau m’obligeant à gérer mon effort. Je suis malgré tout dans mes temps estimés donc rien d’inquiétant. Pour info, mon hoquet est toujours présent, du moins il réapparaît à chaque déglutition que ce soit de solide ou de liquide. Mais bon, même si l’organisme a des ratés, le mental est toujours présent et la forme générale également. 

La bascule sur Elisabetha est rapide, je suis régulier et confiant. Je m’extirpe de la vallée des Glaces et attaque l’arrête Mont Favre qui me sépare de la frontière italienne, avant de regagner Courmayeur. La montée se passe plutôt bien, mais dans la descente je ressens une certaine fatigue musculaire accompagnée d’une gêne abdominale. Je mets cela sur le compte de ce hoquet persistant qui m’accompagne maintenant depuis plusieurs heures et qui m’obnubile.  

Enfin la base de vie italienne, il n’y a pas grand monde mais je dois dire qu’il n’est que 4h00 du mat et qu’il faut être sacrément courageux pour venir nous encourager à cette heure. Un bénévole me tend mon sac d’affaires de rechange que je saisis et rentre dans le gymnase pour me remettre à neuf. Une brève toilette avec des lingettes, un changement de T-shirt et de chaussettes, une soupe et une compote, et me voilà prêt à repartir.

Seulement, au moment de me relever du banc, je suis pris de nausées accentuées et je suis contraint d’attendre une vingtaine de minutes pour sortir enfin du bâtiment. Cela ne présage rien de bon ! Je me fais un check-up rapide : d’abord une sensation de crampe à la cuisse, ensuite le hoquet, puis viennent les nausées. Il est clair que je ne suis pas au mieux, mais la magie de l’Ultra a déjà démontrée que des rebondissements positifs peuvent survenir, alors je m’accroche.  

La montée sur Bertone est difficile, la relance tant attendue parait encore loin. Pas à pas je gravis ce pic en serrant les dents. Un coureur est allongé dans le fossé en position de fœtus, je m’approche et constate qu’il dort, je suis rassuré. Tandis que j’atteins le refuge, le lever du soleil commence à se faire sentir et l’obscurité laisse place à un bleu timide. Je m’envoie deux ou trois soupes pour me requinquer et aperçois trois concurrents qui décident de jeter l’éponge.  

La partie de Bertone à Arnuva est un pur bonheur, avec cerise sur le gâteau, un soleil qui s’impose d’avantage et qui rebooste mon cerveau.

Je ne cours pas comme un cabri certes, mais je suis heureux de constater que mes cuisses vont mieux et les nausées bien contrôlées. Pour ce qui est de mon hoquet, pas de changement ! Si ce n’est que j’ai l’impression qu’il se transforme peu à peu en un spasme permanent qui rythme ma course malgré moi. Je ne fais pas encore de bulles comme les Dupont et Dupond dans «Objectif Lune», mais ces contractions me gênent pour respirer convenablement et m’alimenter correctement. 

Je pénètre sous la tente d’Arnuva pour refaire le plein lorsque je suis interpellé par mon ami Cyril Cointre assis sur un banc. Il me fait part de sa décision d’abandonner alors que j’essaie de le convaincre de repartir avec moi en direction de la Suisse. Mais rien à faire, son arrêt est irrévocable et je repars seul pour faire face au point culminant de la course : le grand col Ferret. 

Je grimpe plutôt bien, du moins je m’en persuade, même si je m’accorde quelques pauses. Et puis, du moment que je ne recule pas, c’est bien que j’avance ! Le chrono affiche une heure de retard sur les prévisions, mais l’important n’est plus là, c’est de retrouver ma petite famille à l’arrivée et qui sait, peut-être que la forme va revenir ! 

Dans la descente, la chaleur permet d’adopter la tenue short, maillot et la Suisse verdoyante me tend les bras. Que ce paysage est beau, et qu’il est bon de galoper sur ce petit balcon jusqu’à la Fouly ! Je suis ragaillardit, léger, avec mon petit hoquet qui me fait faire des sons aigus par intermittence, Grrrrrrrr ! 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En arrivant sur la Fouly, j’ai une envie de sucré, bizarre ! Je satisfais à ce besoin, puis je poursuis mon effort sur cette portion encore rapide à l’approche de Champex. Il est 11h00, le soleil cogne et je trempe régulièrement la tête dans les nombreuses fontaines que propose le village de Praz de Fort. 

La montée sur Champex débute assez bien, bâtons à la main. Puis plus rien, le vide, plus d’énergie d’un coup. Mon cerveau ordonne à mes jambes de se poser dans l’herbe fraîche, je ne comprends rien. Je reste ainsi une dizaine de minutes, hagard, tentant à plusieurs reprises de me redresser sans succès.  Deux trois concurrents que j’ai doublé précédemment me demande si ça va et je leur réponds par l’affirmative comme par orgueil.  Soudain, je suis pris de vomissements. Par quatre fois je vide mon estomac, réalisant alors que ce dernier ne filtre plus rien depuis bien longtemps et que je suis certainement devant une déshydratation avancée. Les acides gastriques m’ont brûlé la gorge et je peine à déglutir à l’image d’une forte angine.

Le fait de m’être ainsi vidé semble me redonner du poil de la bête, mais cela ne dure que quelques secondes. Je passe un pointage sauvage à 1km500 de Champex. 1500 mètres interminables, ponctués d’arrêts tout les 20 mètres pour atténuer les vertiges qui ont raison de ma volonté. J’aimerai avaler une de mes barres, mais mon estomac refuse tout, j’accuse le coup ! Après plusieurs minutes je rejoins la base de vie où m’y attendent mes amis David et Muriel. Ils se doutent que quelque chose ne va pas, mais mon visage ne paraît refléter un mal-être quelconque. Je décide de récupérer et espère pouvoir m’alimenter un peu avant de savoir si je suis apte à repartir : j’avoue être dans le doute. 

Malheureusement, ce foutu hoquet m’empêche d’absorber quoi que ce soit et secoue mon estomac déjà fragilisé. David me conseille de voir un médecin et je suis pris en charge dans un premier temps par une kiné sympathique qui tente d’éradiquer ces soubresauts en détendant mon diaphragme. Puis regarde une de mes vertèbres qui pourrait être déplacée et liée à mon problème. Mais rien à faire, le hoquet persiste et c’est au tour d’un médecin de constater mon désarroi. Il me donne un comprimé et me demande de m’allonger 25 minutes avant de faire le point. Je me décontracte et récupère dans l’espoir de pouvoir me remettre sur pied. 

25 minutes passent, plus de hoquet, mon système digestif est remis à  zéro selon le docteur et il m’invite à manger doucement une assiette de pâtes. Court répits, car dès les premières bouchées mon inséparable hoquet revient à la charge comme un signal d’alerte me convaincant de stopper là. J’exprime ma déception à David et Muriel, qui me conforte dans cette sage décision et me raccompagne sur Chamonix : fin de l’histoire ! 

J’ai bien sûr beaucoup de regrets, car j’avais beaucoup d’espérances sur cette édition de l’UTMB. Mais comme le dit Antoine, j’ai exploré certaines limites physiologiques de mon organisme et il faut savoir parfois interpréter correctement les signaux qu’il nous transmet. 

Tout était réuni pour une belle course : une bonne prépa, la présence de la famille et des amis, le soutien des potes derrières leur écran d’ordinateur que je remercie au passage, une météo exceptionnelle et pourtant… 

 

 

Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort !                                                                                      A bientôt sur les sentiers…

 

Séb.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TRAIL : EXTREME SPORT

                                                                      BY SEBASTIEN FARANO

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